6 avril 2013
Interview d’Emile Gros Raymond NAKOMBO à Afrikaweekly
Source : www.afrikaweekly.com.
Bangui 25 avril 2014
AW : Monsieur Nakombo, Candidat du Rassemblement Démocratique Centrafricain à la présidentielle de 2011, vous venez de rentrer au pays après un long moment d'absence et de silence. Votre retour a été marqué par une visite aux hôpitaux débordés et par un communiqué condamnant ces actes de violences envers la population et les édifices privés et publics ! Qu’est ce qui motive ce retour?
EGRN : Il n’y a pas lieu de me comparer à l’enfant prodigue. Je n'ai jamais été et je ne suis pas loin du peuple centrafricain. Je suis physiquement ici pour prendre ma part de malheur et donner ma part de travail pour le bien-être de mon peuple.
AW : Quelle lecture faites-vous de la situation ?
EGRN : Au plan conjoncturel le problème numéro 1 est celui de la sûreté des personnes et des biens. Au plan structurel, il y a nécessité de construire les bases de l’État, de reconstruire le lien national.
AW : Au vu de la situation, selon vous quelle issue à cette crise ?
EGRN : Relativement à la sûreté des personnes et des biens, j’ai dénoncé et condamné leurs violations inadmissibles par certaines composantes de la Séléka. Afin de rétablir l’ordre, j’ai proposé et recommandé :
la cessation immédiate des actes de brigandage et autres barbaries;
la démilitarisation immédiate de tous les centres urbains de Centrafrique vidés des Forces Armées combattantes ;
le cantonnement immédiat des forces de la Séléka à proximité de Bangui et non dans les quinze préfectures tel que récemment préconisé. Le site de Berengo semble indiqué pour une telle opération ;
le désarmement sans délai desdites forces;
le rapatriement des composantes non-centrafricaines dans leurs pays d’origine connus ;
L'augmentation des forces de la Fomac et le retour des forces Sud-Africaines.
À propos de l'augmentation du contingent de ces dernières(troupes Fomac et sud africaines ,NDLR), C’est une urgence quand on connaît la dimension de la tâche à accomplir. La disponibilité de l'Afrique du Sud pour participer à la pacification de la RCA est un effort louable quand on sait les pertes humaines qui furent les leurs tout récemment. Nous avons aussi besoin de l’appui des forces françaises.
Il conviendra de bien définir la mission de cet ensemble : désarmer, cantonner, renvoyer dans leurs pays respectifs les Séléka non-centrafricains, effectuer des missions de police tout ceci dans un délai raisonnable.
La contribution centrafricaine doit être définie et mobilisée dans les meilleurs délais. En effet, il n’est pas question de laisser à d’autres le soin d’assainir la situation à nos lieux et places. Nous devons contribuer activement à cela.
Cette action mise en œuvre, le droit doit primer la force. Tout délinquant pris en flagrance devra être mis aux arrêts et traduit en justice.
La question des responsabilités au niveau de la Séléka doit également être poser sans complaisance. A quel niveau la machine a failli car il n’est pas concevable qu’une prise de pouvoir par la force ne soit pas suivi d’une opération de maintien de l’ordre et de signes réparateurs pour conserver la cohésion nationale !
Par ailleurs, il est capital de procéder au dédommagement des victimes des exactions. Ceci doit faire partie du carnet de route de la transition qui doit instruire la mise en place d'une commission nationale d'enquête ouverte aux instances judiciaires internationales afin de faire la lumière non seulement sur les atteintes aux droits de l'homme observées ces dix dernières années mais aussi et surtout celles intervenues entre le 10 décembre 2012 et le 24 mars 2013 puis les jours qui suivirent la conquête de Bangui.
AW : comment avez-vous accueilli les décisions ayant abouti à la mise en place du CNT et à l’élection de Djotodia ainsi que les dernières recommandations des chefs d’états de la CEEAC ?
EGRN : La perfection n’est pas de ce monde. Il fallait bien commencer quelque part. C’est fait. Maintenant il y a lieu de parfaire la démarche afin d’arriver au plus large consensus possible. Et le minimum d'entente entre les parties prenantes.
Quant aux recommandations des chefs d’état de la CEEAC, l’état centrafricain se doit d’harmoniser ses positions avec celles des états voisins. L’objectif final est de construire la paix dans notre pays, la stabilité dans la sous région puis l’unité du continent.
Nous ne pouvons pas, dès lors, nous offrir le luxe de refuser la concertation avec les chefs d’état de la sous-région. Cela va dans les intérêts bien compris de nos peuples respectifs.
Puisque vous m'interrogez sur ces recommandations, permettez que je vous dise qu'il y en a une disposition dont je ne vois pas l'utilité. Même si le renversement par la force des institutions de la République justifie la suspension de la constitution, il faut dire qu'un nouveau référendum constitutionnel est un luxe dont nous pouvons en faire l'économie. En effet, la crise qui a abouti au 24 mars 2013 n'est pas une crise constitutionnelle. Elle est une crise d'hommes. La constitution du 27 décembre 2004 est sans doute la meilleure que nous ayons eu en RCA et certainement l'une des plus complètes d'Afrique. Il est donc utile de se consacrer à la pacification, à la sécurisation, à la prise en charge des victimes, à la relance de l'administration et de l'économie et quand le calendrier électoral sera déterminé, prévoir la réactivation de la constitution du 27 décembre 2004 sur la base de laquelle les nouvelles institutions seront mises en place.
AW : Selon vous les soupçons de velléités islamistes de la Séléka sont ils fondés ?
EGRN : La Séléka se présente comme une coalition de groupes rebelles, hostiles à l'ex Président Bozizé. Il ne vous a pas échappé que la Centrafrique n'est pas une coalition mais une REPUBLIQUE. C’est dire que les valeurs républicaines, liberté, égalité, laïcité, respect de la personne, de la propriété individuelle sous-tendent l’État et la société.
La laïcité ? C’est avant tout la liberté de conscience et de croyance. Tout citoyen centrafricain, toute personne résidant en Centrafrique choisi librement sa confession religieuse. Elle pratique également sa religion dans le cadre déterminé par la Loi.
Pour prendre un exemple, dans le RDC, parti dont je suis membre, il y a toutes les confessions religieuses. Ce qui nous réunit c’est une plate-forme politique et nos différences nous servent, nous enrichissent et non le contraire.
Il doit en être de même pour la Séléka. Il s’agit là d’un impératif catégorique.
C'est vrai que durant son offensive, de nombreuses profanations sélectives d'édifices religieux furent constatées. Profanations injustifiées et à condamner et nous les condamnons. Si après cette guerre, il y a une tentative pour légitimer la suprématie d'un culte sur les autres, l'ensemble du peuple centrafricain qui a toujours vécu librement et en harmonie avec ses différences religieuses, se lèvera comme un seul homme pour barrer la route à cette atteinte à la LOI fondamentale de notre Nation unitaire. Je n'en doute pas un seul instant. Le peuple centrafricain est le rempart de sécurité pour que l'esprit laïc de notre République demeure.
Je vais vous faire une confidence. Moi même, je suis un ancien séminariste et catholique. Or dans ma famille biologique et politique, il y a de nombreuses personnes qui pratiquent l'islam et d'autres cultes. Nous avons toujours vécu en harmonie. Et l'on retrouve cela dans quasiment toutes les familles centrafricaines. Je vous en fais le serment, il en sera toujours ainsi car nous n'accepterons plus une nouvelle forme de tyrannie.
AW : Au vu de la situation, selon vous quelle issue à cette crise ? Ces dernières années les troubles politico militaires ont rythmé la vie de la République Centrafricaine. Les conséquences de ces crises sur la société et la population est déplorable et a conduit le pays au plus bas de divers classements mondiaux ! Selon vous comment peut-on durablement éradiquer ces phénomènes ?
EGRN : Une réponse exhaustive nécessiterait une thèse de science politique ! Pour faire court, il y a eu une perversion de l’action politique par certains leaders politiques, qui, faute de donner un contenu à leurs actions politiques, ont cru devoir s’enferrer à la tête de l’état. L’exercice solitaire du pouvoir mène à la dérive.
En son temps, il avait été dénoncé « l’État MLPC » pour emprunter cette expression à Enoch Dérant-Lakoué ; plus près de nous, c’est le tout KNK qui a occupé toutes les institutions sans partage.
Ce qu’il s’agit de faire, c’est d’abord donner du contenu à l’action politique, programme consistant, innovateur et cohérent, loin des slogans et des postures démagogiques que nous avons connu et qui semblent revenir en force depuis quelques jours.
C’est par là que l’État recouvrera son autorité car elle remplira sa mission : être au service du bien-être du peuple.
C’est ensuite accepter l’existence de contre-pouvoirs, syndicats, ordres professionnels, associations etc. bref, une société civile active.
Vous savez, du temps du président Kolingba, l’opposition disposait d’un temps d’antenne sur les médias nationaux. Ce droit lui a été retiré par le président Patassé. Inutile de vous dire que la question n’a même pas été évoquée sous le président Bozizé.
Dans cet ordre d’idée, il est indispensable d’avoir des organes administratifs indépendants exercer pleinement leurs missions et rôles. J’entends par là toute l’institution judiciaire et les autres organes tels le Haut Conseil de la Communication, les Chambres Consulaires, etc. Car un état fort est celui dont les institutions sont fortes et où la justice est juste.
Sous Kolingba, Me Tiangaye avait été poursuivi, régulièrement jugé et relaxé. Bokassa et Bozize le furent aussi dans les règles de l'art judiciaire. Comprenons-nous. En disant cela, je ne tente pas d'occulter la part des dérives que notre régime a fait subir aux Centrafricains ou dire que le ciel fut bleu en permanence. Je mets en lumière les exemples où la force du droit, donc des institutions a primé sur le droit de la force. Au delà de cette affirmation, je m'aligne dans la même dynamique que celle du Président Kolingba en 2008 lors du DPI pour demander pardon aux Centrafricains, victimes de nos erreurs comme dirigeant de la RCA entre 1987 et 1993.
Sous Patassé, Me Zarambaud a été embastillé sans autre forme de procès. Sous Bozizé, Me Balemby est en fuite, son épouse privé arbitrairement de sa liberté . C’est vous dire que quand les libertés sont à l’abandon, quand les institutions de l’État sont sous la coupelle d’un homme ou d'un clan, l’histoire avance par soubresauts.
Enfin, quand ce sinistre ensemble s’accompagne d’une économie stagnante, peu compétitive, il n’est rien d’étonnant que la société entière convulse.
Continuer à faire comme nous avons procédé jusqu'à maintenant est la voie royale à l'impunité et à la perpétuation des actions néfastes à l'économie et à l'épanouissement du Centrafricain: des exactions non punies, des détournements cautionnés, des poursuites non conclues.....Et quand le régime tombe, il faut se réconcilier et pardonner aux uns et aux autres au nom de la cohésion nationale : véritable opium du peuple.
Pour moi la réconciliation ou le pardon doit susciter une repentance stratégique qui fait appel à l'état des lieux, à une sanction méritée et à un engagement personnel des mis en cause de ne plus jamais refaire les mêmes fautes. Ensuite ne pas les reconduire de sitôt dans les affaires, le temps de constater le changement qualitatif en eux. Nous devrons désormais finir avec la réconciliation et le pardon en occultant tous ceux qui sont la cause du retard de notre pays. Elle doit intégrer des valeurs et faire place au plus méritant qui sont pour la majorité au garage au bénéfice des partisans moins doués des arcanes politiques et autres confréries.
AW : On vous reproche d'avoir abandonné le pays et de retrouver la voix à la faveur de la chute de Bozizé ! qu’en dites-vous ?
EGRN : Qui ON ? Je viens de vous dire que je n’ai jamais été loin du peuple centrafricain. Je n'ai jamais été dans une sorte de course au brevet de l'antibozizisme. C'est pour servir la RCA et les Centrafricains que je suis entré en politique. En vingt-six ans, j'ai fait mes preuves dans le secteur socio-économique en RCA et dans notre sous-région. La distance géographique, si tant qu’elle existe, n’a pas de sens. De Douala, d'Abuja ou d'ailleurs où je me trouvais, je travaillais avec et pour le peuple centrafricain tout en m’adonnant à mes activités professionnelles. Avant de regagner Bangui, j'ai d'abord œuvré avec les autorités camerounaises pour organiser l'accueil des réfugiés centrafricains dans la zone frontalière entre nos deux pays. Ensuite mis en place avec les mêmes autorités la récupération et la sécurisation des biens de l'état centrafricain introduits par les compatriotes qui ont quitté le pays à la faveur de ce changement et enfin organisé le retour en RCA de ceux qui le souhaitaient. Permettez donc que je puisse ici, exprimer toute ma gratitude aux autorités camerounaises.
AW : La transition est censée se conclure dans dix-huit mois par des élections présidentielles et législatives. En 2011, vous avez représenté le Rassemblement Démocratique Centrafricain aux présidentielles, serez-vous encore à nouveau candidat et sous la bannière du RDC ?
EGRN : Notre priorité en ce moment c'est la paix, la cessation des pillages, des meurtres, des viols. Notre priorité, c'est l'ouverture et la sécurisation des couloirs de circulation dans les plus brefs délais avant que la saison des pluies ne s'installe durablement pour aller vers nos compatriotes à l'intérieur du pays afin de leur porter secours. Notre priorité, c'est de porter assistance aux Centrafricains. Lorsque le temps viendra où il faudra aller à la rencontre du peuple, je ne doute pas un seul instant que le RDC procédera au choix de son candidat. À chaque jour suffit sa peine !
AW : Vous n’êtes ni au gouvernement, ni au CNT ; quel est votre avenir immédiat ? Quel rôle sera le vôtre durant cette transition ?
EGRN : Parlons de l’avenir du pays ; du sort des Centrafricains au regard duquel ma petite personne compte peu. Mon rôle, si rôle il y a, est celui d’un homme au service de ceux qui sont dans l’épreuve ; et ils sont légions. Cela remplit amplement mon « avenir immédiat » comme vous le dites.
Ainsi je voudrais lancer un SOS à la Diaspora centrafricaine pour venir en aide à nos compatriotes meurtris : 5, 10 EUROS, une paire de chaussures, des habits, des médicaments et autres feront rejaillir dans leur cœur la lumière du sourire et de la joie d'être Centrafricains.
AW : Pour conclure comment voyez vous l’avenir de la République Centrafricaine à l’issu de cette crise ?
EGRN : Je suis et demeure optimiste pour peu que le peuple soit uni et motivé. Il faut reconstruire les Hommes, reconstruire le pays. Pour cela, les principaux acteurs de cette transition doivent faire des sacrifices car ce que nous vivons aujourd'hui est la conséquence d'une série de mauvaises options politiques. Maintenant qu'il nous faut reconstruire sur des décombres, nous devons poser des actes forts. Alors je demande à mes frères et sœurs du Conseil National de Transition de renoncer à percevoir une indemnité durant l'exercice transitoire. À mes frères et sœurs du gouvernement, je demande aussi de faire pareil. Vu l'état de notre pays et de notre population, le sacrifice à faire doit venir de nous dont les décisions politiques sont à l'origine de l'actuelle tragédie. Les indemnités et les salaires économisés permettront de soulager le peuple, même partiellement. Cet acte constitue un verre d'eau appréciable dans la marre de nos souffrances, c'est un geste qui sauve.
Je voudrais aussi saluer les honorables actes patriotiques posés par les Centrafricains et les amis de notre pays depuis quelques jours de par le monde et cet immense élan de solidarité qui s'organise. Sachez chers compatriotes et amis de la RCA que la patrie vous en sera éternellement reconnaissante et qu'ici à Bangui, nous prenons toutes les dispositions pour faciliter l'expression de cette solidarité.
Notre pays n'est pas maudit. Nous devons nous instruire du passé. De ce qui est la cause de cette tragédie qui dure 53 ans. Refonder la République, Procéder aux bons choix et la RCA se relèvera et les Centrafricains deviendront un peuple fort.
NDLR:
LE SEUL HOMME POLITIQUE A AVOIR LE COURAGE DE PRENDRE POSITITION CONTRE LES EXACTIONS DE SELEKA